En lisant Une semaine de vacances de Christine Angot (livre acheté dans une grande surface, entre le rayon des friandises et celui des charcuteries), j’ai souvent songé à La philosophie dans le boudoir (et à l’ordre que Madame de Saint-Ange donne à Eugénie: « Familiarise-toi avec l’homme du monde le plus en état de te former, de te conduire dans la carrière du bonheur et des plaisirs que nous voulons parcourir ensemble »). Dans les deux cas, nous avons affaire à l’initiation d’une adolescente qui a soif d’apprendre, fascinée par celles et ceux qui savent énormément de choses : gens instruits, expérimentés, informés, cultivés; libres-penseurs dont l’intelligence supérieure provoque une excitation sexuelle chez la novice.
Cependant, le profil de la fille sans nom est différent de celui d’Eugénie. Car Eugénie éprouve de très agréables sensations en découvrant l’étendue d’un univers qui lui était inconnu jusque-là. Certes, elle frémit un peu lorsque l’élan de ses instituteurs confine au crime mais, dans l’ensemble, elle apprend et expérimente avec joie, jubilation et exaltation. Elle apprend dans une sorte d’euphorie. Ce n’est pas exactement le cas de l’ado mise en scène dans Une semaine de vacances et que nous pourrions appeler Tiphanie. Celle-ci ne cesse d’exprimer ses craintes, son envie d’avoir des relations non physiques avec le partenaire masculin qui se trouve être son géniteur. Elle ne cesse de crier quand celui-ci essaie de la contraindre. Il lui tient alors de grands discours sur la libération sexuelle, sur le besoin que tout être intelligent ressent de faire sauter les barrières, les limites, les codes de la bienséance. Il évoque une étudiante qui ne porte jamais de culotte sous son pantalon, qui couche volontiers avec des inconnus, avec laquelle il savoure régulièrement les délices de la sodomie. Il fait lire à sa fille Sang réservé (de Thomas Mann), l’histoire d’une passion sensuelle conduisant un frère et une sœur à outrepasser le tabou de l’inceste. Il lui achète Glissements progressifs du plaisir (de Robbe-Grillet), l’histoire d’une jeune fille suspectée du meurtre de son amie, femme plus âgée avec laquelle elle entretenait une relation pervertie.
« Si le climat de La philosophie dans le boudoir est un climat d’allégresse, de frénésie verbale, de plaisir à détruire les conventions sociales, religieuses et familiales, celui d’Une semaine de vacances relève de la suffocation. »
Antonin Moeri
Si le climat de La philosophie dans le boudoir est un climat d’allégresse, de frénésie verbale, de plaisir à détruire les conventions sociales, religieuses et familiales, celui d’Une semaine de vacances relève de la suffocation. En effet, l’être en construction qui rêve de découvrir un monde, qui rêve d’accéder à un autre statut, si j’ose dire, se voit réduit, dans ce livre-ci, à un non-être, ectoplasme à qui toute espèce de dignité est refusée. Si Eugénie jouit de son étonnante transformation et si, après avoir présenté ses fesses à madame sa mère pour que celle-ci les baisât, elle assiste en éclatant de rire à l’introduction du virus de la vérole dans le ventre de celle qui l’avait mise au monde, la victime qu’on pourrait nommer Tiphanie ne peut, elle, que plonger dans un état psychotique: abandonnée sur un quai de gare, affamée, assise sur une chaise en plastique, elle regarde les gens planter leurs dents dans un sandwich ou un fruit ; hagarde, elle parle à son sac de voyage, « qui est la seule chose familière de toute la gare ». Trouble sévère que l’écrivaine nommée Christine Angot cherchera à fixer, pourrait-on dire, dans l’écriture.
Information sur le livre :
Une semaine de vacances, Angot Christine, Flammarion,
140 pages, ISBN 9782081289406