Dans L’Art français de la guerre, j’écrivis cette phrase un peu énigmatique : « Tempête du désert me foutit dehors », phrase dont le sens n’est pas le sujet ici. Dans le contexte, tout s’explique, il est encore disponible en librairie, ou alors contactez l’auteur. La correctrice se concentra sur la règle, et m’apprit que foutit n’allait pas, car il n’existe pas. Le verbe foutre ne se conjugue pas au passé simple. On peut dire foutait (ce qui n’avait aucun sens dans ma phrase), mais pas foutit ( qui disait bien ce que je voulais dire).
N’étant guère érudit en grammaire, je tombais des nues en apprenant que certains verbes sont amputés de certains de leurs temps. Je n’y avais jamais pensé avant de vouloir conjuguer le verbe foutre. Méfiant, je consultais le Grand Robert, et la preuve me fut donnée que la correctrice avait raison, comme toujours. Je veux bien me soumettre à la grammaire qui est notre règle à tous, mais quand même. Car si le verbe foutre s’accommode à toutes les sauces, qu’il est devenu un synonyme du verbe faire, c’est qu’il désigne le Faire suprême, l’Acte avec une majuscule, celui qui nous a donné naissance, et qui nous donne grand plaisir, à nous autres messieurs, au point que nous y tenons fièrement.
Mais si on considère son sens, on se rend bien compte que la règle de grammaire citée plus haut, si elle est grammaticalement juste, est physiologiquement pour le moins approximative. En effet que signifient les temps ? Si l’imparfait exprime une action durable, durant laquelle d’autres actions peuvent advenir, le passé simple désigne une action ponctuelle et achevée. Or foutre, on le sait, ne dure pas. Il serait alors naturel de l’employer au passé simple si on l’a fait hier. Je foutis, pourrait-on dire, alors que je foutais paraît étrange, on se demande ce qu’on fait, pourquoi ça dure, ou bien si c’est pas une menterie. Le viril est un peu hâbleur, on le sait. Le viril aime exagérer, sa longueur, sa fréquence, sa durée, c’est de bonne guerre, c’est la course à la place de mâle alpha, on y est habitué, on fait avec, on en rit, mais on n’y renonce jamais.
Elle est étrange cette petite caractéristique d’un verbe si sensible, qui tout à la fois désigne ce que prudemment on cache, tout en s’introduisant partout, si je peux oser, dans le langage courant. Pourquoi ce trou noir dans sa conjugaison, au temps exact que nécessiterait son récit ? Parce que dire je fous, cela demande des nerfs d’acier, et dire je foutrai ressemble à un pari sur l’avenir dont on ne sait jamais s’il sera gagné, voir pour cela Romain Gary. Pudeur ? Impossibilité métaphysique de raconter ? Et pourquoi ne subsiste-t-il pour le dire au passé qu’un temps inadapté à l’acte, de par la durée qu’il indique ? Ignorance des grammairiens, qui ne connaîtraient ceci que par ouï-dire ? Origine ecclésiastique des dictionnaires ? Ou bien alors pure et simple vantardise, façon de se pousser du col entre mâles. Il semblerait que là aussi le dictionnaire ait été rédigé par des hommes.