
Écrivain et poète, Georges Haldas fut l’un des plus grands chroniqueurs du XXe siècle. Le temps d’un « Bec de plume », Jean-François Fournier rend hommage à son maître trop tôt disparu, un texte que LPBP accompagne d’une lettre aux jeunes lecteur, Lire Georges Haldas, signée Catherine de Perrot-Challandes, la dernière compagne du grand homme.
« Vous avez tout pour devenir un écrivain, Jean-François ! Mais si vous voulez en devenir un vrai, sans concession, vous devrez vous habituer au goût du cervelas ! » J’ouvre ici une parenthèse pour nos amis français et belges : le cervelas suisse n’a, hélas, que peu de points communs avec la saucisse que vous connaissez en Alsace, dans le nord de la France et outre-Quiévrain. Chez nous, c’est le plus souvent une création industrielle de 100 grammes, de 12 cm pour 3,8 de diamètre. Je vous épargne sa composition, mais sachez que nous en consommons 25’000 tonnes par an, d’abord, et même surtout, parce qu’il s’agit clairement de la première viande du pauvre.
L’homme qui me la conseillait il y a trente ans nous a quittés en 2010. C’était un géant, mon maître en littérature et un précieux conseiller pour les débutants : Georges Haldas. Pour ce premier « Bec de Plume », je voulais lui rendre hommage. Parce qu’il est l’auteur impérissable des légendes (La Légende des cafés, La Légende du football, La Légende des repas, La Légende de Genève ) et des confessions (La Confession d’une graine, I-VI). Que les carnets de L’état de Poésie nous révèlent une humanité, une précision, une lumière, un style, une musique de la langue qui font de lui un gendelettre éternel. Qu’il a parlé comme personne du Christ, d’Ulysse, de Socrate et de tant d’autres. Et dessiné de ses mots la lumière grecque et celle de Jérusalem avec la vérité de celui qui est inspiré.
Haldas, l’écrivain de l’aube. Le chroniqueur de l’espoir sans cesse renouvelé. Haldas et l’écriture jusque dans la mort. Depuis 1998, son Livre des trois déserts me porte. Plus encore depuis que j’ai découvert le Sahara, cette métaphore parfaite où le sable entraîne la perte de nos repères et nous fragilise, nous, les égarés qui errent de dunes en oasis. Le voilà, le désert géographique de Georges ! Lieu des trois révélations essentielles aux trois monothéismes, où les seules ombres qui nous protègent sont celles de Moïse, du Christ et de Jean le Baptiste. Thébaïde où l’on se donne pour que l’autre puisse vivre.
Et puis, il y a ce désert social qu’Haldas pressent dès ses jeunes années, steppes urbaines où les puissants écrasent les faibles, où la course au profit dérègle les consciences et où la politique disparaît derrière l’économie. Toutefois, il en faut bien davantage pour que cet homme trop grand pour Genève cède au désespoir de nos déserts intimes. Dans cette sphère-là, il a plutôt choisi de nous parler de fraternité, de solidarité, de toutes les formes d’amour qui rétablissent la primauté de la personne humaine sur les systèmes, et qui, chez lui, finissent toujours par nous relier à la Source.
Cette trinité des déserts « haldassiens », je la décline à ma façon, chemin faisant, pour illustrer la légende contemporaine des écrivains.Désert spatial vidé de ses lecteurs dans une civilisation qui expérimente concrètement la mort de l’écrit et son grand remplacement par le bruit et la fureur du tout-numérique. Asséché par l’agonie d’éditeurs incapables de survivre en dehors des lois du marketing, et de médias qui exécutent sans états d’âme leurs derniers contenus littéraires. Désert social qui voit toutes les structures du pouvoir et de l’intelligence abandonner l’une après l’autre l’écrivain coupable d’être indocile et insensible aux formats qu’exige la doctrine, désormais mondiale.
Désert intime des plus belles plumes en vaine quête de talents pour se ressourcer et construire ensemble. Pour poétiser – comme disait Ferré. Raconter l’irracontable et matérialiser les rêves qu’on ne nous a pas encore dérobés. Écrire contre la solitude et jusque dans la mort. Comme les vrais romanciers, les nouvellistes, les essayistes, les fabulistes, les dramaturges, les poètes, les journalistes, les critiques, les pamphlétaires, les scénaristes, les chansonniers, les épistoliers, les philosophes, les historiens, les chroniqueurs. Comme Georges Haldas.