Vous allez rire, mais moi ça m’inquiète un peu : avec le confinement ma chatte a muté. Il faut un peu de temps pour le comprendre, mais elle a changé, elle a assimilé la pensée politique contemporaine. Il faut que je fasse attention, d’ailleurs j’utilise avec soin les marqueurs de genre, je dis bien « ma chatte » pour que sa singularité soit reconnue, au risque de faire apparaître à mon insu des sous-entendus graveleux. Alors je me relis, je veille, mais ce n’est pas ça le problème. Ma chatte est devenue antispéciste. Bon, ça vaut mieux que végane, je n’aurais pas su comment la nourrir, mais quand même ça change la vie.
Avant elle passait ses journées seule, nous travaillions ; mais pendant l’enfermement nous étions toujours là. Alors cette chatte très méfiante, toujours aux aguets, n’acceptant rien qu’elle n’ait choisi, sanguinaire avec les mouches et potentiellement sanguinaire avec les pigeons qui volent au ras du balcon, ce petit fauve très animal s’est fait à nous. Nous l’avons apprivoisée comme le fennec du Petit Prince, qui est appelé renard, mais je vous assure c’est un fennec, apprivoisée sans rien faire, être là simplement, ne pas bouger et ne rien dire, chaque jour un peu plus près. Pendant ces longues semaines, nous n’avions rien d’autre à faire que d’être là.
Elle a commencé à regarder la télévision avec nous, le confinement favorisant l’absorption de séries, le terme convient, nous passions davantage de temps sur le canapé devant l’écran, qui avait été mis là par habitude et qui est maintenant très utile. Elle se posa sur un fauteuil, puis s’est rapprochée au fil des saisons, et puis s’installa sur le canapé, la tête dirigée vers l’écran, et là elle s’endort avec nous.
Elle s’empara d’une partie de notre lit. Elle qui dormait toujours ailleurs, j’y avais œuvré quand elle était chatonne, vint se poser discrètement au milieu de la nuit, dans un coin du bout du lit, pas de mon côté. Et puis elle s’allongea de tout son long et se glissa entre nous. Le jour elle dormait sous la couette, le corps couvert et la tête dehors, comme elle nous voyait faire.
Elle voulut manger à heures fixes, les nôtres. Elle négligea son pâté, voulut goûter le nôtre, le trouva meilleur. Elle mangera désormais dans une petite assiette, et cuit, ce qui comme on le sait est une marque de civilisation, elle a dû lire les Lévi-Strauss du fond de la bibliothèque.
Elle qui fut si distante nous tourne autour, fait des plissements d’yeux, des miaulements incitatifs, se pose et nous fixe, va jusqu’à demander le câlin, voire même l’exiger. Elle nous fait la conversation.
Elle n’était pas comme ça, avant. Et si je récapitule, tout est humain dans ses nouvelles habitudes. Je ne suis plus très sûr qu’elle sache qu’elle est une chatte. Elle est devenue antispéciste, vous dis-je, elle a franchi la barrière d’espèces. Quand je rentre de courir, elle se jette sur mes chaussettes et se roule dessus en ronronnant. Mais je reste ferme : quand elle demandera à s’habiller, ce sera non.