Dans le vaste monde, il y a les bienheureux qui ont la foi, ne doutent de rien et chantent les louanges du Tout-Puissant. Il y a ceux qui auraient bien voulu – comme moi qui espérais vivre au monastère après mes études de théologies – mais n’ont pas pu. Et puis il y a les curieux, ceux qui cherchent sans relâche. James D. Tabor est de ceux-là. A 74 ans, il enseigne encore et toujours le judaïsme ancien et les débuts du christianisme et dirige le département des études religieuses de l’université de Caroline du Nord. Réputé pour la solidité de ses enquêtes historiques, il est l’auteur d’un best-seller planétaire qui fit couler beaucoup d’encre, La Véritable histoire de Jésus (éd. Robert Laffont, 2007). Comprenez l’homme et sa lignée, et non la création, le collage théologique de vingt siècles de christianisme.
Rebelote donc cette année, avec Marie – De son enfance juive à la fondation du christianisme. Disons-le toute de suite : le lecteur qui s’accroche d’ordinaire à son seul catéchisme et aux sermons du curé de sa paroisse va traverser quelques tempêtes coriaces ! Avec Tabor, le travail de recherche, d’étude des textes, de comparaisons, d’archéologique et de sémantique ne s’embarrasse d’aucun tabou. On est là dans l’humain, l’intime, la vie quotidienne, les rapports familiaux, le brouhaha politique, les crises sociales. Avec une ambition simple et folle à la fois : étudier Marie, la femme la plus célèbre de l’Histoire et aussi la plus méconnue. Une Juive de son temps qui a éprouvé les drames de l’occupation romaine dans un pays déchiré par les querelles de pouvoir et en proie aux soubresauts d’une révolution messianique. Une femme forte et puissante – Tabor le démontre avec brio – inspiratrice d’un mouvement religieux qui allait conquérir le monde.
« Une femme d’influence, issue d’une famille aisée, dotée d’un corps et d’un esprit dont elle sut se servir puisqu’elle savait se démarquer dans le monde politique et social. »
Parce qu’en étudiant l’originalité du message de Jésus, on ne peut faire l’économie d’une enquête approfondie sur sa famille et ses proches, à commencer par sa mère et par son frère Jacques, qui lui a succédé à la tête du mouvement nazaréen. Je vous laisser le plaisir d’enquêter avec l’auteur : vous serez captivés ! Mais je ne puis m’empêcher d’esquisser quand même le portrait sublime que révèlent ces 377 pages au style vif. Rien à voir avec la jeune moniale effacée, pauvre et inculte que nous propose la tradition. Marie est une mère de huit enfants au moins, veuve très tôt. Une femme d’influence, issue d’une famille aisée, dotée d’un corps et d’un esprit dont elle sut se servir puisqu’elle savait se démarquer dans le monde politique et social. Marie descend même d’une double lignée royale, à la fois davidique et sacerdotale, qui laissait espérer la venue d’un Messie conforme aux attentes et aux textes des Juifs. Ce qui faisait clairement d’elle une cible pour les Romains, qui n’ont d’ailleurs pas manqué d’assassiner deux de ses fils, Jésus et Jacques.
Comment a-t-elle été marginalisée, effacée, trahie même, par deux millénaires de théologie ? C’est précisément toute la démonstration de cette nouvelle enquête historique signée James. D. Tabor. Ma solide culture catholique n’a rien à reprocher à ce chercheur insatiable. Mieux, elle le remercie de m’avoir désormais instillé la certitude que Marie ne se résume pas au réceptacle divin ayant permis la naissance du Christ : elle est – dans le berceau politique du messianisme – l’esprit même et le cœur de ce mouvement. C’est l’éducation donnée à ces fils dans des conditions de guerres civiles, ce sont ses propres idées, plus grandes, plus fines que celles des révoltes juives d’alors, qui ont guidé Jésus, et Jacques après lui.
Croyants ou non-croyants, voilà pourquoi il nous faut d’urgence redécouvrir Marie !
Information sur le livre :
Marie, James D. Tabor, Flammarion,
384 pages, ISBN 9782081379367