

On dit mater une série, parce qu’il est bien plus cool de la mater que de la regarder : mater c’est sexy, on utilisait le mot pour des pratiques concupiscentes, alors que regarder c’était la télévision. L’expression sert à dissimuler le fait que le temps nécessaire à visionner une série, on le passe écrapouti dans le canapé comme au temps de Jacques Martin, Michel Drucker, Patrick Sébastien, trente ans plus tard, pas mieux. « Ah non, je streame sur mon ordi ! », proteste-t-on dans un effort désespéré pour revenir au cool. Inconfortable en plus ? Non, voyons la réalité en face : quand on regarde des séries, on est trop devant la télé.
Et puis, c’est assommant ces histoires qui durent huit heures, douze heures, cinq fois dix heures à se traîner pour aller vaguement quelque part, ou même nulle part, enchaînant les péripéties, les scènes, les retournements de fin de saison. Ils ne savent pas être un peu concis, un peu directs, moins dilués ? On ne pourrait pas tout dire en deux heures comme au bon vieux temps du cinéma ? La narration au kilomètre, à quoi ça sert ? C’est l’opium du peuple.
Mon pote V. qui a beaucoup de livres et qui fréquente des femmes plus jeunes que lui vit souvent ce choc culturel. « Tu as lu tout ça ? », demandent-elles devant sa bibliothèque, mais c’est sans admiration. En leur for intérieur, elles se demandent si elles ne sont pas tombées sur un loser, un type qui n’a pas de vie pour passer tout ce temps à lire tout seul. Elles, que font-elles ? Elles matent des séries. Bon, elles passent leurs soirées devant la télé, comme papa et maman en leur temps.
Qu’on ne s’y trompe pas, j’ai Netflix comme tout le monde, et j’ai vu quelques chefs-d’œuvre. Mais trop souvent suivre une série, c’est être coincé à table à côté d’un fâcheux trop bavard dont on ne sait plus comment se dépêtrer, et il raconte, digresse, se répète, c’est sans fin visible, on ne sait pas comment s’en sortir. On rêve d’un taiseux qui dirait tout en deux phrases, et on en méditerait le sens en savourant gorgée après gorgée cet excellent bourgogne.
« Y en a marre de la péripétie, du clin d’œil et du récit malin, on aimerait du sens. »
Alexis Jenni
Y en a marre de la péripétie, du clin d’œil et du récit malin, on aimerait du sens. J’ai pour le détecter un outil formidable : ma chérie est le palpitomètre le plus sensible et le plus fiable jamais construit. Quand c’est palpitant, elle est toute vibrante, œil étincelant et chair de poule sur les avant-bras, sinon elle s’endort. Alors on coupe, on passe à une autre. Et souvent, c’est palpitomètre à zéro.
L’autre symptôme de l’inanité de ces narrations sans fin, c’est l’obsession du spoil, du divulgâchis comme on dit en français du Saint-Laurent, c’est-à-dire de révéler la fin à celui qui n’y est pas encore. C’est semble-t-il un grand malheur, qui détruit tout l’intérêt de la série. Mais qu’est-ce que c’est qu’une œuvre qui ne tient que par la surprise ? Un objet à usage unique ? Qu’est-ce que c’est qu’une œuvre que l’on ne peut pas revoir et chaque fois la trouver encore mieux ? C’est sans doute un produit industriel, pour faire passer les longues soirées passées sur un canapé.