LE PITCH Chanteur, musicien, compositeur, phénomène de scène aux talents multiples, inclassable, provocant et généreux : on a beaucoup écrit sur Pascal Auberson. On connaît moins son amour des mots et de la littérature. Rencontre dans son antre du Flon, à Lausanne.
Il faut que ça swingue … En 1975, Pascal Auberson ne se préoccupe guère du sens des mots. Ce qu’il veut, c’est chanter, jouer, vibrer, partager, c’est croquer la vie. Normal il a 23 ans. Et c’est plutôt bien parti avec Ophélie, la chanson qui le propulse vers les sommets : 1er Prix du Festival de la Chanson française de Spa en Belgique et une entrée fracassante dans le monde du show business parisien, de l’Olympia au Théâtre de la Ville, en passant par le Grand Échiquier à plusieurs reprises, sans parler des tournées en Europe et jusqu’en Chine populaire.
Son chemin croise pourtant déjà celui d’auteurs connus. Ainsi Betty Duhamel, petite-fille de Georges, lui écrit des textes originaux et pétillants, entre autres Adrienne ou l’Amour parfait. « J’étais trop jeune pour apprécier le côté suranné et en comprendre le sens… Je n’avais pas l’impression de parler de moi, d’être réellement concerné. En fait, elle parlait d’elle… »
Un peu plus tard, il rencontre Henri Michaux et découvre Poteaux d’angle. Dans la foulée, naît un spectacle réunissant certains textes de l’écrivain poète, dits par Béatrice Moulin, sur une partition d’Antoine Duhamel, oncle de Pascal et célèbre compositeur de musiques de film (Pierrot le Fou ou L’Enfant sauvage, notamment). Lui joue du marimba et Michaux en personne vient donner son aval à la création.
Puis c’est le temps de la collaboration avec Jean-Claude Collo et des chansons qui aujourd’hui encore nous vrillent le coeur et réveillent nos émotions : Jamaïca, L’âme au bout des doigts ou encore Ronde de nuit. « Il me racontait des histoires d’aujourd’hui que lui-même vivait, contrairement aux textes de Betty Duhamel qui évoquaient une autre époque… »
Ont aussi étoffé son répertoire Chantal Pelletier, Jean-François Moulin, Patrick Nordmann ou Jimmy Paramore. Mais surtout il commence à écrire, les mots s’incarnent, prennent de plus en plus d’importance. Il veut dire des choses de lui, des choses qui le bouleversent. Ainsi naît Bretagne, après la catastrophe de la marée noire provoquée par l’Amoco Cadiz. Puis Icare et tant d’autres.
« Claude Nougaro, je l’ai rencontré plusieurs fois, il disait que je prononçais les mots comme lui… »
À ce stade, une question incontournable : l’influence de Claude Nougaro. « Je l’ai rencontré plusieurs fois, il disait que je prononçais les mots comme lui… » Le swing et une diction naturelle les rapprochent, c’est une évidence, mais aussi ce plaisir gourmand à rouler les mots dans la bouche. En l’évoquant, il y a comme une buée de tendresse dans son regard.
Pascal devient un lecteur passionné. « Il faut du silence pour lire, avant je n’en avais pas la patience… » Des romans, des essais, de la poésie, « même si je n’y comprenais pas grand-chose, mais j’aimais Rimbaud, Giono et Michaux, bien sûr ».
Avec le BBFC (célèbre quartette de jazz composé d’Olivier Clerc, de Daniel Bourquin, Léon Francioli et Jean-François Bovard) il découvre le Dictionnaire du diable de l’américain Ambrose Bierce, pour le moins corrosif : « Ils lisaient des trucs pas forcément gais, mais en lien avec le besoin de tout faire péter… » Tous partageaient la nécessité de provoquer, d’inventer, de créer. Ce furent Borderline la Passion, puis Big Band. « Avec eux, on parlait sans arrêt pour arriver enfin au silence. »
Dans la foulée, il aime Christian Bobin, Eri de Luca, Elias Canetti, Hubert Reeves, l’ésotérisme… Une femme lui fait découvrir et dire « des choses nouvelles », la comédienne et chanteuse Yvette Théraulaz, avec laquelle il monte le spectacle A table.
« Ma rencontre avec le groove de Stade m’a fait pousser des ailes de mots et entrer dans un slam poétique. »
Le prochain tournant s’appelle Kélomès : « J’en avais assez du couplet/refrain. Ma rencontre avec le groove de Stade m’a fait pousser des ailes de mots et entrer dans un slam poétique. J’ai osé casser la rythmique des pieds et lâcher la rime… » Il écrit Y’a pas d’âge, qui figure sur ce disque, juste après son opération du cancer, mais aussi Gilles est un ange, La lumière est si belle, Gens du voyage et bien d’autres.
Nouvelle rencontre littéraire et humaine, et pas des moindres. Nancy Huston lui dit : « Tu as un truc d’écrivain en toi, tu as une plume. » Il écrit effectivement beaucoup, mais peine à se discipliner : « Il y a du trop-plein en moi, ce qui me fait parfois dérailler… J’ai envie de dire des choses précises, mais le langage fait qu’elles s’envolent… Quand il y a trop de mots, c’est comme s’il n’y en avait plus. »
Aujourd’hui, quel rôle jouent les mots dans la vie et l’œuvre de Pascal Auberson ? Il esquive par une boutade : « Ou bien je me résigne et je ne l’ouvre plus, ou je chante du grégorien ! » Voilà qu’il répond musique, comme si c’était indissociable. Il pense au texte de Y’a pas d’âge, qu’il a dit en public sans piano, juste avec des rythmes.
Aucun doute, chez Pascal, la musique est aussi dans les mots.