Quentin Mouron au-delà de la décadence

Paul Alexandre Martin Duval, alias Jean Lorrain (1855-1906), est l’un des écrivains scandaleux de la Belle Époque. Un maître de la littérature Fin de siècle. Un dandy de la fange, ont écrit certains critiques en soulignant sa mise en scène de sa propre vie entre drogue, travestissement et scandales dans les mauvais quartiers. Sa rencontre avec notre ami Quentin Mouron, empêcheur de littératurer en rond, était donc inéluctable. D’abord dans sa thèse universitaire, puis aujourd’hui avec cet essai qui fait du bien tant l’univers des écrivains manque de personnages sulfureux.

Éditeur de cet OVNI qui changera sûrement votre vision du XIXe, Olivier Morattel nous raconte cette aventure : « En discutant avec Quentin Mouron et en relisant ses textes en profondeur, je me suis rendu compte que son premier essai intitulé Jean Lorrain ou l’impossible fuite hors du monde et son roman L’Âge de l’héroïne (paru en 2016 aux éditions de La Grande Ourse) ont été écrits, presque simultanément, et partagent de nombreux thèmes communs ainsi qu’une même interrogation sur la notion de décadence. Par ailleurs, la trajectoire de Frank, le personnage principal du roman ressemble à s’y méprendre à la trajectoire de Lorrain : deux figures crépusculaires arrivées à l’orée de la nuit et sur le point de s’y engloutir. »

D’autres s’en seraient tenus aux conversations de salon, mais Morattel est un jusqu’au-boutiste, un des derniers purs de l’édition. Alors il a pensé livre, ce que beaucoup de professionnels du secteur ne font plus. « Suite à ce constat de proximité, j’ai proposé à mon auteur de toujours de créer un « concept-livre » intégrant ses deux textes, car L’Âge de l’héroïne, bien qu’ayant été qualifié à sa sortie de roman policier ou de roman noir, nous a toujours apparu plutôt comme un roman décadent et il m’a semblé donc intéressant d’accoler ce roman, à un essai portant sur le rapport angoissé de Lorrain – et de ses personnages – avec la réalité́, à un essai interrogeant les limites de la décadence. Et afin que ce « concept-livre » soit le plus cohérent possible, nous avons repris le texte d’origine de L’Âge de l’héroïne qui est plus éloigné encore du polar que la version publiée en 2016. »

Alors, petit jeu intellectuel entre les deux amis ou étape importante dans le parcours de l’écrivain canado-suisse ? « En six romans, Quentin Mouron s’est imposé comme une voix qui compte dans l’espace littéraire francophone, explique Olivier Morattel. Chroniqueur, romancier, poète, il ajoute une corde à son arc avec cet essai, dans lequel il ne renie ni son mordant, ni son style. Mouron écrivant sur Lorrain, c’est avant tout Mouron dialoguant avec Lorrain par-delà̀ le vingtième siècle. »

Mouron se retrouve-t-il dans Lorrain ? C’est l’impression que l’on a, en lisant ce texte, qui semble parfois le texte d’un ami écrivant sur un ami. Mouron donne ainsi l’impression que la littérature n’est pas seulement question d’érudition, mais qu’elle est avant tout et surtout une question d’amitié́.

Une fois n’est pas coutume, je m’effacerai devant la conclusion du communiqué de presse annonçant la sortie de ce nouvel opus « mouronnien ». Non par paresse, mais parce qu’il résume sans fausse note la vérité de cet essai : « Promu maitre de la satire avec son précèdent roman, Vesoul, le 7 janvier 2015, Mouron nous livre ici une autre face de lui-même, plus réfléchi, plus intime. Il cède la voix à cet homme qui l’a devancé sur le chemin de la provocation et du cynisme. S’il s’efface parfois derrière un style plus académique, ce n’est que pour mieux faire ressortir la voix gonflée et enflammée du Lorrain tonitruant des bouges, des arrière-salles de taverne et des bals dansants. »