Il y eut Dans le jardin de l’ogre et Chanson douce, Prix Goncourt en 2016. Pour son troisième roman, Leïla Slimani nous emmène vers Le pays des autres.
Si les histoires et les atmosphères diffèrent, le regard reste le même : acéré, cruel parfois, glaçant souvent et pourtant tellement humain. De cette humanité sombre et glauque qui nous habite tous à un moment ou un autre. Ici pourtant émerge une douceur qui se glisse entre deux pages, deux chapitres. L’écho d’un rire furtif qui se perd dans le désert.
En 1944, une jeune Alsacienne s’éprend d’un Marocain combattant dans l’armée française. Elle le suit à Meknès, ville de garnison et de colons. Au pays de l’autre, l’époux qu’elle aime sincèrement, du moins au début, elle découvre la solitude, la pauvreté, la méfiance qu’elle suscite, voire le rejet, l’obligation pour les femmes de lutter plus encore qu’en France pour leur émancipation. Ou juste pour exister.
La narration couvre une dizaine d’années, sur fond de violences et de tensions qui aboutiront à l’indépendance du Maroc en 1956. À partir d’un cas particulier, celui de Mathilde parachutée en terre étrangère, on découvre que chaque personnage vit en exilé dans le pays de l’autre, colon ou paysan indigène, homme ou femme. Même l’enfance n’est pas épargnée…
Aïcha, à la chevelure indomptable qui rêve de peau claire et de tresses dans le dos, Aïcha qui aime Sœur Marie-Solange, le calme de la chapelle du pensionnat, le piano certains matins. Et surtout laisser derrière elle « la mesquinerie et la laideur des hommes, et flotter dans un univers éthéré, en compagnie de Jésus et des apôtres… »
« Je crois que l’écrivain vit dans le pays des autres… Ce titre définit sa place… C’est à la fois beau et triste. »
Leïla Slimani dans « La grande librairie»
Amine Belhaj, le mari, s’échine à rendre généreuse une terre désespérément aride. Déchiré entre sa culture ancestrale, une mère possessive, la violence extrême de son frère, la rébellion quasi forcenée de sa sœur et l’admiration qu’il voue à sa femme, sans jamais la lui témoigner, il souffre du joug colonisateur.
Le pays des autres, c’est le lot de chacun dans ce roman puissant, mais plus encore. Invitée de l’excellente émission La Grande Librairie, Leïla Slimani déclarait notamment : « Je crois que l’écrivain vit dans le pays des autres… Ce titre définit sa place… C’est à la fois beau et triste… Les autres sont notre matière, on vit dans leur pays, en observateur amoureux ».
Quant au style, il est incisif, rythmé, souvent haletant. Une constante dans les trois romans. Lectrice invitée au pays des autres, j’y suis entrée avec bonheur. Et ressortie parce qu’il le fallait bien…
Information sur le livre :
Le pays des autres, Slimani Leïla, Gallimard ,
368 pages, ISBN 9782072887994