

J’aime regarder les femmes, mais vraiment. Je les regarde toutes, toutes entières et tout le temps. Avant que l’on ne me hue, je tiens à préciser que ce regard est empreint de courtoisie, je ne suis jamais lourd, jamais je n’insiste, jamais je n’importune. Je regarde, et dans ces regards, il y a de l’admiration, jamais trace de prédation. Mais malgré l’air du temps qui voudrait que l’on passe indifférent, et que l’on mange du foie gras sans foie et que l’on boive de la bière sans alcool, jamais je ne renonce, parce que parmi les plaisirs qui font que la vie vaut la peine d’être vécue, le voisinage de femmes que l’on peut voir tient un rang éminent, je parle de leur seule présence, admirée. J’aurais horreur d’un monde peuplé que d’hommes ; l’armée, je n’ai pas aimé.
Alors qu’elle n’est pas ma déception profonde en ces temps de peste quand dans la rue, dans le métro, toutes avancent masquées, cachant ce que toute ma vie j’ai tant aimé regarder, leur merveilleux visage. J’aurais fait un fort mauvais Saoudien, mais de toute façon là-bas il n’y a pas de rues où flâner.
« C’est frustrant de ne plus voir figure humaine, c’est troublant, Cela reconfigure les perceptions et créé des surprises. »
Alexis Jenni
Dans nos rues où l’on marche, il reste à voir leurs yeux, leur chevelure, d’autres partie de leur corps où le regard erre sans but, désorienté de ne plus retrouver ce beau miroir de l’âme qui permet de se comprendre. C’est frustrant de ne plus voir figure humaine, c’est troublant, Cela reconfigure les perceptions et créé des surprises.
À Belleville, une jeune femme aux longs cheveux noirs et aux yeux ardents attendait que le petit bonhomme des feux passe au vert. Moi aussi. Son large pantalon d’été de toile rude et son petit haut remonté laissaient apparaître une vaste étendue de ventre bronzé et un nombril ourlé comme un coquillage. Si j’avais vu son visage, j’aurais brièvement noté ce ventre délicieux mais je ne l’aurais pas vraiment remarqué, cela aurait été tout un ensemble auquel le visage aurait donné son unité de personne, mais voilà qu’elle était voilée du banal masque bleu, alors elle était toute entière là, dans ce ventre vibrant qui prenait toute la place, fétichisé par le voile trompeur. L’apoplectique petit bonhomme rouge passa au vert, tout le monde traversa à la rue, se dispersa, je la perdis de vue.
J’ai ainsi en flânant des émotions islamiques. Des croisements de regard rendus intenses par leur isolement mettent le feu à ma pauvre âme desséchée de vieux mâle blanc cis-het (Réd.: pour cis-hétéro: ce terme désigne une personne hétérosexuelle dont le genre correspond à ce qui lui a été assigné à la naissance), et je me demande en les perdant de vue qui elles seraient, celles qui émettent tant d’intensité, si elles se dévoilaient, cela devient obsédant, avant je ne pensais jamais comme ça. Je me saoudise, sans doute.
Cette admiration paisible qui était la mienne devient un grand huit émotionnel, la rue devient une piste de bobsleigh où je suis frôlé de fantômes, de succubes possiblement, dont j’ignore le nom, la forme et les intentions, dont je ne devine que la flamme dans un éclat de regard.
Oh, rendez nous les visages ! Pour que nous retrouvions des relations paisibles.
Cacher rend faux, réduit et agite violemment ; montrer apaise.