On s’en réjouit, Sylvain Tesson est en pleine gloire : il rafle le Renaudot par surprise, il est l’auteur le plus lu de France, il est connu de tous avec sa verve, ses voyages incroyables et sa belle gueule cassée avec laquelle les photographes font des miracles. Avec une force intérieure prodigieuse, il se remet d’un accident qui aurait dû le tuer. Cela aurait été dommage qu’il y reste, pour lui, pour ses lecteurs, et que ce soit en tombant d’un petit chalet alors qu’il avait grimpé des façades d’immeubles, les flèches de Notre-Dame et des falaises à la seule force de ses doigts. Je l’ai rencontré avant, sa poignée de main était celle d’un bûcheron, je l’ai revu après, et c’est comme s’il manquait la moitié de sa masse physique. Mais sa verve est intacte, augmentée plutôt, en public il brode des formules percutantes qui font rire, sourire et toujours attirent l’attention, que l’on soit un, cinq ou mille à l’écouter.
Mais je ne sais pas si une intelligence brillante est toujours un atout en littérature. Je dis ça sans doute pour me rassurer, parce que je peux parfois être très con, mais je le suis en pleine conscience, parce que je chéris ma bêtise. Paradoxe d’ainsi préférer la bêtise à l’intelligence ? Jalousie ? Paresse ? Non : ce qu’il y a de bien dans la littérature, c’est qu’elle ne sait pas ce qu’elle dit. Elle déborde, et par là elle va plus loin que ce que l’auteur avait décidé. Pour éviter de pontifier, il est important d’être un peu bête.
« La panthère des neiges est un montage de formules, chacune aussi belle qu’un salto arrière, l’ensemble est bizarre. »
La panthère des neiges, qui se vend comme des petits McDo, qui remporte le Renaudot, qui vaut à son auteur reconnaissance et admiration, est plein d’aphorismes brillants. Il est un montage de formules, chacune aussi belle qu’un salto arrière, l’ensemble est bizarre. Il s’en moque lui-même, ruse de l’intelligence, il raconte avoir noté ces belles tournures dans un carnet de guet, et les proposait à ses compagnons de voyage, qui haussaient les épaules, pas impressionnés. Parce que l’esprit, l’esprit français, ça ne nourrit pas son homme. La formule, c’est comme la meringue : ça a de la gueule comme ça, mais si on croque, il n’y a rien. Le sujet du livre est fascinant, l’exploit est intense, mais je parle d’écriture. Elles sont étonnantes, ces pages, où tant d’intelligence est consacrée à opposer la science et la vie, ou bien les écrans et la nature, à finalement dire tant de banalités. De la meringue, dis-je, de l’air et du vent dans une jolie croûte. Et puis un aphorisme, ça tient deux lignes et puis ça s’arrête, si on les multiplie, le livre avance sur des roues carrées. Pas de prose, pas de souffle, rien qui emporte un peu loin. Tout n’est que clin d’œil à un public acquis d’avance, c’est intelligent mais paresseux.
Pour aller plus profond dans l’affût, le rapport aux animaux, le grand silence, lisez Les grands cerfs de Claudie Hunzinger : ce sera moins facile, plus énigmatique, il faudra y revenir plusieurs fois, mais ce sera tellement plus vrai. Il y aura là tellement plus de littérature.