
Zemmour n’en rate pas une, c’est sa grande habileté. Avec lui, pas moyen de débattre, parce que personne n’est à la hauteur, il est trop habile, rapide, retors, et puis parce que ses propos ne laissent aucune prise, ils sont des fumigènes, si on s’en approche on passe au travers.
L’une de ses dernières punchlines a eu lieu sur Cnews, chaîne d’information continue, mais plus continue que d’informations, il lui faut émettre en permanence, occuper le terrain, alors ils invitent Éric Zemmour à s’exprimer. C’était sur le succès des écologistes aux élections municipales. Il y connaît quelque chose ? Ce n’est pas le problème. Il vient, il parle d’abondance, il buzze, une chaîne d’information continue n’en demande pas plus. Avec son talent de rhéteur, il dézingue les écologistes avec une rapidité d’impacts que seule une mitrailleuse peut atteindre. « Les verts sont multiculturalistes, immigrationnistes, sans-frontièristes, ils ont le souci de la nation française comme de leur dernière éolienne. Le vert des Verts correspond comme par hasard au vert de l’islam. Il y a une alliance composite entre tous ces gens qui est derrière le vote Vert. »
Le « comme par hasard » est un refrain complotiste, alors bien sûr, tout le monde se précipite pour se moquer, cela devient aussitôt un même fiévreusement partagé, et par une surenchère de moqueries on se donne l’impression de prendre position contre Zemmour, et on se fait complètement avoir. Cette comparaison colorimétrique qui « enflamme les réseaux sociaux » est une mine dissimulée dans les herbes, elle explose sous le pied des vertueuses personnes de gauche, qui en effet s’enflamment.
« On n’étudie pas la stratégie de Zemmour, on s’arrête à ses fusées clivantes qui sont des leurres antimissile. »
Alexis Jenni
Croit-il à ce qu’il dit ? Faisons le pari de l’intelligence : bien sûr que non. Mais les gens de gauche croient qu’il y croit et on ne parle que de ça, on n’étudie pas la stratégie de Zemmour, on s’arrête à ses fusées clivantes qui sont des leurres antimissile. Quoi qu’on dise, on parle de lui, il maintient sa célébrité, on le réinvitera, il lâchera bientôt un nouveau propos clivant pour relancer la machine. Quand il a déclaré à Hapsatou Sy que son prénom « est une insulte à la République » et qu’elle ferait mieux de s’appeler Corinne, c’était avec un sourire de biais, et je voyais en ses yeux de la satisfaction. « Ça marche ! Voilà quelques semaines de polémique assurée ! » Et il continue, assurant sa place médiatique et matérielle en lançant régulièrement quelques âneries bien senties, des écrans de fumée bien utiles, et sa pensée se développe à l’abri des polémiques superficielles, puisque personne à gauche ne lit ses gros bouquins.
Ça fonctionne très bien cette bullshit strategy à base de fausses nouvelles et de n’importe quoi, un tweet y suffit, c’est très économe, Trump s’est fait élire comme ça. Par des saillies, il prend le pouvoir sur la parole de l’adversaire, et pendant que ses opposants s’agitent sur rien, lui gouverne. La vertueuse indignation de gauche est un piège pour ceux qui l’expriment, et ouvre un boulevard vers le pouvoir à ceux qui en jouent.