Lancer un projet le jour où le monde entier s’arrête de tourner ! Lancer un projet que certains qualifieraient de doublement utopiste en temps normal, puisque fondé sur deux domaines communément admis à l’agonie : la littérature et le journalisme. Quelle folie… Ou le parfait moment pour défendre l’idée que la parole de l’écrivain a une valeur dans la société. Qu’elle est là pour rassurer, pour expliquer, pour dénoncer, pour aiguillonner, pour divertir, pour faire rêver.
Les journaux de confinement se multiplient sur les réseaux sociaux. Les maisons d’édition leur emboîtent le pas. Le Seuil, par exemple, publie en ligne et en libre accès Contagions de Paolo Giordano, un témoignage qui commence au début du confinement italien, « comme une intervention d’utilité publique, participant de la nécessaire information de chacun ».
Si je ne suis pas une adepte du genre, c’est surtout parce que pour avoir de l’intérêt, il demande un grand recul sur la situation. Et la plupart s’en tiennent de fait à la sidération d’être coupé du quotidien. Le témoignage du mathématicien turinois va plus loin. Peut-être parce qu’il se situe dans notre futur immédiat. Quand les gens mourront seuls. Coupé de leur famille, et celle-ci, coupée de son deuil. Un drame collectif dans lequel l’individu se dissout, en particulier nos vieux. Mais ne les avait-on pas déjà mis de côté, loin de nous, eux qui sont pourtant notre mémoire ?