Trois des membres de mon équipe sont des écrivains du grand dehors. Notre chroniqueur et Goncourt, Alexis Jenni a un besoin viscéral d’écrire dans les cafés. Mon interviewer et bras droit, Jean-François Fournier, a parcouru l’Europe des bistrots où les plus grands ont créé avant lui, pour côtoyer leurs fantômes et s’en inspirer. À l’instar de son mentor, Georges Haldas, auteur, par ailleurs, de La Légende des cafés. Quant à Bernadette Richard, elle part trois mois chaque année depuis 40 ans pour écrire partout où le monde l’invite. Et elle en a vu du monde et de grands événements. Elle s’est retrouvée pas moins de cinq fois sur les lieux d’attentats ou de coups d’État.
Eux tous, mes amis, ils appartiennent à cette race d’auteurs qui ont besoin du bruit, des odeurs et des breuvages où l’on trempe sa plume. Comme Truman Capot et William Faulkner (au Carousel Bar à La Nouvelle-Orléans). Comme Rimbaud, Verlaine et Nabokov (aux Deux magots à Paris), George Orwell (au Newman Arms à Londres), ou encore Joyce, Beckett et Wilde (au Kennedy’s à Dublin). J’oubliais presque Montesquieu et George Sand (au Procope à Paris).
Ils sont, ma fine équipe, indéniablement de cette espèce d’écrivains qu’un confinement perturbe et pousse à la page blanche. Même s’ils noircissent des pages et des pages pour s’en plaindre ! Moi, j’appartiens à une autre race. La vie que j’aime, celle dans laquelle je crée le mieux, est parfaitement érémitique. Je peins. J’écris. Je dors. Je médite. Dans une cabane, ou presque, depuis que j’ai décidé de faire les travaux moi-même dans ce vieux chalet des Alpes valaisannes.
Je me sens donc bien plus proche du Jack London de L’Appel de la forêt, de Roald Dahl, de Sylvain Tesson dans sa taïga sibérienne. Le luxe n’apporte rien à ma démarche. Mes provisions sommaires en ces temps de pandémie ne varient pas d’un iota. Je ne trouve mon compte que dans un quotidien réduit à ses besoins les plus primaires. Comme la compagnie authentique et spirituellement entière de mes animaux. Et tout le reste n’est qu’un vacarme infernal dans lequel ma pensée et mes personnages se perdent. Mais cette fois, devant la violence d’un virus, la page blanche devient aussi ma tasse de café soluble. Alors de ma montagne, je regarde le brouillard qui caresse la vallée, et puisqu’on parle de guerre, je pense à Camus, à ses grands éditos. Et je me souviens que, plus que jamais, l’on combat aujourd’hui un ennemi qu’on appelle la condition humaine.