« Ce sera le même, en un peu pire. » Que dire sinon que la formulation de Houellebecq sur France Inter manque autant d’élégance que l’époque. Comment douter, en effet, que le monde, après ce confinement, ne sera pas le même, exactement, mais en plus dur. On nous a promis une grande crise. Les gouvernements investissent, comme à leur habitude, dans les secteurs qui rapportent : les banques, la finance, les grands groupes industriels, l’aviation. Ou, plus étonnant, le sport (à titre d’exemple, en Suisse, le seul football pourrait recevoir autant que toutes les branches de la culture réunies). Pour tous les autres, les politiques d’austérité s’élaborent en coulisses.
Et les files se forment avec les heures d’attente pour quelques vivres. Dans les banlieues françaises, certes, dans la riche Genève aussi. Des mères célibataires, des étudiants, des migrants, des clandestins, surtout, se rassure-t-on. De la misère que l’on se dépêche de ranger sous le tapis en même temps que les heures supplémentaires qu’on s’apprête à offrir à nos employeurs dans le besoin. Il n’aura jamais été aussi facile d’écarter les rébellions, car dans ce vertige d’ennui que nous impose ce virus (dixit Houellebecq), tous les loisirs et la spontanéité dans les rapports ont disparu et pour longtemps. Métro, boulot, télé – les plus raffinés se rabattront sur un livre – dodo. Le fantasme s’accomplit. Nous voilà des fourmis prêtes à ramper pour relancer la sacro-sainte économie.
Comment s’en sortir autrement ? On ne nous propose aucune autre religion que celle de Pangloss (ou de Leibniz, dont il est la satire voltairienne) qui rappelle à chaque horreur que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». L’ennui se situe bien là. Dans le manque d’imagination de nos politiques, si ce n’est dans leur manque d’intelligence à comprendre le véritable enjeu de l’Histoire : la pérennité de l’espèce et de son habitat. Dans le manque d’esprit critique de leurs commentateurs. Dans le divertissement médiocre que nous offre les artistes de tous poils, confinés dans des appartements qu’on découvre le plus souvent spacieux et confortables.
Là encore, je suis d’accord avec Houellebecq et son ami Carrère : il n’y aura aucun grand livre du Covid. Toutes ces créations larmoyantes n’ont qu’un lien très lointain avec la grande littérature, et toutes brillent par leur manque d’engagements sociaux. On est aux antipodes du Hugo qui, lui, remplissait les deux pages du contrat, absolue exigence de l’écriture et soutien total des plus faibles. « En littérature, disait-il, je suis pour le grand contre le petit, et, en politique, je suis pour les petits contre les grands. »